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noter et je ne savais pas si je pensais. Pas une ligne ne me venait à l’esprit pour mon carnet. Et je n’avais pas l’idée d’un mouvement pour armer mon appareil photographique.

Les physiciens nous disent que lorsqu’il y a trop d’ondes sonores, trop d’ondes lumineuses, nos oreilles n’entendent plus, nos yeux ne voient plus. Se produirait-il quelque chose de semblable pour notre cerveau quand trop d’impressions et trop violentes le frappent à la fois ?

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C’est un des fossoyeurs qui m’a sorti de cet hébétement. Nous suivions la plage couverte de débris, il y avait des poudres avec des clous qui pointaient en l’air…

« Prenez garde, m’a-t-il dit, vous allez marcher dessus… vous enferrer… et vous savez dans ce pays, quand un homme se blesse de la sorte, il attrape le tétanos beaucoup plus facilement qu’une pension… »

Et ce petit détail de ne pas marcher sur des clous pour ne pas attraper le tétanos m’a rendu mes jambes et mes yeux.

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J’ai regardé. J’ai vu. Et je sais maintenant ce qu’est l’épouvante et ce qu’est l’horreur…

Et qui voudra savoir, dans le réel ce que disent les grands mots que l’on trouvait durs, barbares, magniloquents, ces mots un peu mystérieux dans leur éloignement d’irréel, ces mots de cataclysme et de catastrophe… qu’il aille méditer sur le tas de choses broyées, informes, puantes qu’est devenu le paysage autrefois si joli de Saint-Pierre la ville riante…