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loger tous. Quelques-uns attendaient, mornes, abrutis, sous les auvents du marché. Je leur ai causé et j’ai constaté qu’ils étaient encore plus mornes, plus abrutis qu’ils ne le paraissaient.

Pourquoi ils étaient partis… Ils avaient vu sur leur tête le feu du volcan. Ils en avaient reçu la pierre et la cendre. Ils avaient eu peur. Ils étaient partis. Ils avaient pris d’assaut le Salvador. Et quand le bateau avait été plein de monde, on l’avait envoyé à la Guadeloupe. Ils y étaient. Et ils avaient encore peur. Une peur folle. Quand ils parlaient du volcan ils regardaient en l’air, pour voir si la menace n’en était pas de nouveau sur leur tête. Et leurs yeux étaient ronds, fixes. Un homme qui savait les Écritures m’a dit : « Monsieur… le Seigneur nous avait envoyé son nuage… Il nous a épargnés cette fois… Mais… »

J’ai parlé de la Soufrière de la Guadeloupe ; si on ne l’avait point vue qui fumait plus que de coutume : « Taisez-vous, Monsieur, taisez-vous. Il ne faut point appeler le mal. Et surtout il ne faut point plaisanter le malheur. » Ces gens avaient complètement perdu la tête. Quelques-uns, cependant, revinrent avec nous à Fort-de-France. Notamment un vieux monsieur, le docteur Guérin dont l’usine emportée trois jours avant la catastrophe du 8 avait marqué les premiers ravages du volcan ; et une jeune femme, une blanchisseuse qui répondait au doux nom de Zulima ; elle nous a dit que Fort-de-France était vide, mort, triste, les Zulimas toutes ayant filé, car elles ne voulaient point mourir ; et puis elles ne pouvaient plus exercer leur métier de blanchisseuses ; il n’y avait plus d’eau dans les canaux des fontaines ; il fallait prendre celle des canaux de la rue, et celle-là était boueuse, pleine de cendres…