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mais, comme on n’en donne jamais à un soldat ; monsieur, jusqu’à l’âge de vingt-cinq ans, je savais qu’il y avait du pain comme ça, mais je n’en avais jamais mangé… Et tous ces nègres en ont, pour rien, sans qu’ils travaillent… N’est-ce pas honteux. »

Cette tirade-là, je la garantis absolument exacte, non seulement de fond, mais de forme. C’est le même officier qui me disait, en montrant la bibliothèque Schœlcher : « Voilà, voilà monsieur le grand bandit, celui dont on devrait envoyer les bustes et les statues au bagne, car c’est à lui qu’on doit de voir ici le nègre dominer le blanc… c’est lui qui l’a voulu.

Lorsqu’ensuite j’eus dit à cet officier que, pendant un long temps, j’avais travaillé avec le maître… et que les idées du grand émancipateur c’était simplement de vouloir la justice pour tous… que de défendre au blanc d’opprimer le noir ce n’était du tout livrer le blanc à l’oppression du noir… il a cru que je plaisantais. Il ne voulait pas croire.

L’armée, à la Martinique, a la haine du noir. Elle est encore sous le coup des événements du François. Elle n’a point pardonné aux noirs la disgrâce de M. Kahn. Et elle se laisse aveugler par le préjugé de couleur. Un officier blanc n’admet pas qu’un noir puisse être un citoyen…

Je dis tous les officiers avec qui j’ai causé, ou que j’ai entendu parler. Peut-être y en a-t-il d’autres chez qui les passions de race, de caste et de classe n’ont pas obscurci la raison. Mais de ceux-là, je n’en connais point.