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LES TROPHÉES

Qui croisent sur ces bords leurs nœuds inextricables ;
Que, la tempête ayant rompu vergues et câbles
À leurs vaisseaux en vain si loin aventurés,
Ils étaient revenus mourants, désemparés,
Et trop heureux encor d’avoir sauvé la vie.

Mais ce conseil ne fit qu’échauffer son envie.
Si bien qu’avec Diego d’Almagro, par contrats,
Ayant mis en commun leur fortune et leurs bras,
Et don Fernan de Luque ayant fourni les sommes,
En l’an mil et cinq cent vingt-quatre, avec cent hommes,
Pizarre le premier, par un brumeux matin
De novembre, montant un mauvais brigantin,
Prit la mer, et lâchant au vent toute sa toile,
Se fia bravement en son heureuse étoile.

Mais tout sembla d’abord démentir son espoir.
Le vent devint bourrasque, et jusqu’au ciel très noir
La mer terrible, enflant ses houles couleur d’encre,
Défonça les sabords, rompit les mâts et l’ancre,
Et fit la triste nef plus rase qu’un radeau.
Enfin après dix jours d’angoisse, manquant d’eau
Et de vivres, sa troupe étant d’ailleurs fort lasse,
Pizarre débarqua sur une côte basse.

Au bord, les mangliers formaient un long treillis ;
Plus haut, impénétrable et splendide fouillis