Page:Heredia - Les Trophées 1893.djvu/177

Cette page a été validée par deux contributeurs.
165
ROMANCERO


— Seigneur, ouvre les yeux. C’est moi. Regarde bien.
Cette table sans viande a trop piètre figure ;
Aujourd’hui j’ai chassé sans valet et sans chien ;

J’ai forcé ce ragot ; je t’en offre la hure ! —
Ruy dit, et tend le chef livide et hérissé
Qu’il tient empoigné par l’horrible chevelure.

Diego Laynez d’un bond sur ses pieds s’est dressé :
— Est-ce toi, Comte infâme ? Est-ce toi, tête exsangue,
Avec ce rire fixe et cet œil convulsé ?

Oui, c’est bien toi ! Tes dents mordent encor ta langue ;
Pour la dernière fois l’insolente a raillé,
Et le glaive a tranché le fil de sa harangue !

Sous le col d’un seul coup par Tizona taillé,
D’épais et noirs caillots pendent à chaque fibre ;
Le Vieux frotte sa joue avec le sang caillé.

D’une voix éclatante et dont la salle vibre,
Il s’écrie : — Ô Rodrigue, ô mon fils, cher vainqueur,
L’affront me fit esclave et ton bras me fait libre !