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poètes français qui ait eu le sentiment de l’Infini. Sa poésie est simple, essentiellement religieuse. Elle monte comme un chant. Il a tout spiritualisé, la nature, l’homme, ses passions, le rêve lui-même. « Il est sans art, » a dit un lettré subtil. Mot profond qui explique ce génie si spontané qu’il semble inconscient.

On a souvent opposé l’un à l’autre Lamartine et Victor Hugo. On a même essayé vainement de les comparer. Ils sont tous deux incomparables. Lamartine est l’Aède, le chanteur sacré qu’inspire un Dieu. Victor Hugo est, au sens antique, le Poète, le faiseur de vers par excellence. C’est le maître du Verbe et des images qu’il suscite. Il sait tous les mots de la langue, leur pouvoir virtuel, le sens mystérieux de leurs relations et quels éclats inattendus, quels sons inouïs il en peut tirer. Prodigieux visionnaire, sa puissance objective est telle qu’il matérialise l’idée. Il fait toucher l’impalpable, il fait voir l’invisible. Il a trouvé des couleurs pour peindre l’ombre et des images pour figurer le néant. Cet artiste souverain a connu tous les secrets de l’art et nous les a transmis. Nous les lui devons tous. Lamartine, au contraire, déconcerte l’analyse par une simplicité divine. D’ailleurs, qu’importe ? Quelle qu’en soit la façon, le Lac et le Crucifix ne sont-ils pas les plus beaux chants d’amour qu’aient inspirés à l’homme éphémère l’éternité de la nature et le désir de l’immortalité ?

Le poème de sa vie active commence au lendemain des Harmonies. La révolution de 1830, en rompant le lien qui l’attache à la royauté traditionnelle, le laisse libre. Il avait appris de l’Empire ce que valait la liberté. Les gouverne-