Page:Heredia - Discours de réception, 1895.djvu/21

Cette page a été validée par deux contributeurs.

yeux de ce témoin encore épouvanté, ce temps sinistre où l’homme ne vécut que dans l’angoisse de la mort. Son nom de Terreur lui sied doublement. C’est le règne de la Peur, de l’ignoble peur qui fit du troupeau des lâches mené par quelques sectaires une bande d’assassins frénétiques, poussés au meurtre par le meurtre, en proie à la terreur qu’ils inspiraient. Terrebant, pavebantque. Ainsi, d’un trait, les a peints d’avance Tacite.

Voyez, éclairés par ce jour orageux, ces deux portraits de femmes : Marie-Antoinette et Madame Roland. Jamais contrastes de naissance et de fortune ne furent plus saisissants, jamais rapprochement plus fatal. L’une, fille de la plus impérieuse des impératrices, reine du plus beau royaume de la chrétienté. C’est là son vrai crime. Comme mère et comme femme, elle l’a bien durement expié. Cette tête charmante et légère pouvait-elle porter le poids de tout le passé de la monarchie ? L’autre, fille de petits bourgeois, vigoureuse de corps et d’âme, nourrie de Plutarque et de Rousseau ; c’est l’Égérie de la Révolution, l’héroïne de la Gironde. Tout les sépare. Elles furent, elles devaient être ennemies. La beauté, le courage, un même destin funeste, l’égalité du supplice les rapprochent. La reine meurt avec une fière décence, une majesté muette. La bourgeoise finit en Romaine et, se souvenant de Brutus, jette du haut de l’échafaud à la foule indifférente ce cri, ce dernier mot des discordes civiles : « Ô liberté, comme on t’a jouée ! »

La Révolution n’a pas encore le recul du passé qu’il faut à l’histoire. Elle est trop proche, trop vivante. Nous en