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loin encore peut-être. Les princes de l’illustre et guerrière maison de Savoie, aussi pauvres qu’ambitieux et que braves, ont opiniâtrement suivi, de père en fils, avec une âpreté montagnarde, la même politique astucieuse et profonde. Ils eurent toujours l’œil ouvert sur l’Italie. Mais s’ils y règnent aujourd’hui, c’est à M. de Cavour que les Italiens doivent d’avoir une patrie.

L’unité de l’Italie fut-elle un bien pour l’Europe, qui la laissa se faire, pour la France, qui s’y employa, pour l’Italie elle-même ? M. de Mazade le croyait fermement. Tel n’était point le sentiment de M. Thiers, non plus que de Lamartine. Le poète prédisait : « Une Prusse du Midi !… C’est assez d’une ! » Le politique regrettait ces petits États qui avaient succédé aux Républiques du moyen âge, vivant chacun de sa vie propre, convenable à son génie particulier, ces petites cours princières ou ducales, dévotes, amoureuses et machiavéliques, savamment gouvernées par quelque comte Mosca, Metternich au petit pied sous un prince de tradition pure, tel que le fut, pour la joie des lecteurs de Stendhal, le délicieux Ranuce-Ernest IV.

Mais j’ai hâte, Messieurs, de rentrer en France. Fils de la Révolution qu’il déclare légitime et nécessaire, n’en répudiant aucune des grandes idées, juge d’autant plus sévère des crimes qui l’ont ensanglantée, nul n’était mieux préparé que M. de Mazade au récit de ces jours tragiques. Enfant, il avait senti comme un dernier souffle de l’orage. Il avait assisté, grâce aux souvenirs de son aïeul, aux premiers prodiges de la liberté naissante. Il avait vu, par les