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ne convient qu’à quelques rares hommes d’élite. » M. de Mazade a raison. Ces confessions publiques, menteuses ou sincères, révoltent en nous une pudeur profonde. Seul le génie a le droit de tout dire. Et pourtant, ce n’est qu’en les généralisant par une idéalisation naturelle ou volontaire, que les poètes ont pu, sans paraître impertinents, expliquer leurs sentiments intimes. Lamartine en est le plus admirable exemple. C’est que la vraie poésie est dans la nature et dans l’humanité éternelles et non dans le cœur de l’homme d’un jour, quelque grand qu’il soit. Elle est essentiellement simple, antique, primitive et, pour cela, vénérable. Depuis Homère, elle n’a rien inventé, hormis quelques images neuves pour peindre ce qui a toujours été. Le poète est d’autant plus vraiment et largement humain qu’il est plus impersonnel. D’ailleurs, le moi, ce moi haïssable, est-il plus nécessaire au drame intérieur qu’à la publique tragédie ? Racine est-il moins passionné pour avoir chanté, pleuré ou crié ses passions par la voix suave ou terrible de Bérénice, d’Achille, d’Hermione, de Mithridate et de Phèdre ? Non certes. Car le don le plus magnifique du poète est la puissance assurément divine qu’il a de créer à son image des êtres vivants et d’évoquer les Ombres.

Que dire des Odes de M. de Mazade ? Malgré tout le plaisir que j’aurais à vous découvrir, signé de son nom, un chef-d’œuvre inconnu, je ne puis louer de ces Odes que la noble intention, les sujets grandioses ou tragiques et la haute impartialité avec laquelle ils sont traités. Qu’il dise la Fédération, Marie-Antoinette, Charlotte Corday,