Page:Henry George - Progrès et Pauvreté.djvu/89

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

où le produit de la semence est converti en un morceau de pain, et que « il est donc évident que les ouvriers ne peuvent pas vivre sur ce que leur travail aide à produire, mais sont soutenus par la richesse que leur travail, ou le travail des autres, a précédemment produite, richesse qui est du capital[1] ? »

La supposition faite dans ces passages, et d’après laquelle il est si évident que le travail doit être soutenu par le capital qu’il suffit d’énoncer la proposition pour qu’elle soit admise, se retrouve dans l’édifice entier de l’économie politique courante. Et on croit avec tant de confiance que le travail est entretenu par le capital que la proposition : « La population se règle elle-même d’après les fonds consacrés à la faire travailler, et, par conséquent, augmente ou diminue avec l’augmentation ou la diminution du capital ?[2] » est également regardée comme un axiome, et devient à son tour la base d’argumentations importantes.

Cependant, quand on examine ces propositions, on voit que loin d’être évidentes en elles-mêmes, elles sont au contraire absurdes ; car elles impliquent l’idée que le travail ne peut être exécuté que lorsque l’on a économisé les produits du travail, et placent ainsi le produit avant le producteur.

Et l’examen prouve que leur apparente plausibilité vient d’une confusion de pensée.

J’ai déjà signalé l’erreur, cachée par une définition fausse, que renferme la proposition que la nourriture, l’habillement et l’abri étant nécessaires au travail productif, l’industrie était limitée par le capital. Dire qu’un homme doit avoir déjeuné avant d’aller à son ouvrage, ce n’est pas dire qu’il ne peut pas travailler à moins qu’un capitaliste lui fournisse un déjeuner, car ce déjeuner peut venir et vient, même dans les pays où il n’y

  1. Économie politique pour les commençants, par Millicent Garrett Fawcett, chapitre III, p.25.
  2. 2 Les mots cités sont de Ricardo (chap. II) ; mais on retrouve l’idée dans tous les traités classiques.