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trait le paiement de leurs salaires que pour la fin du mois ; il y en aurait probablement bien peu refusant de travailler et d’attendre les salaires jusqu’à la fin de la semaine comme le font bien des ouvriers ; il n’y en aurait certainement aucun qui ne voudrait pas attendre sa paie jusqu’à la fin de sa journée, ou au moins jusqu’à l’heure de son prochain repas. Le moment précis du paiement est indifférent ; le point essentiel, le fait sur lequel j’appuie, c’est que ce paiement se fait après l’accomplissement du travail.

Donc le paiement des salaires implique toujours un travail préalable. Mais qu’implique dans la production ce travail ? Évidemment la production de la richesse qui, si elle est échangée ou remise dans la production, est du capital. Donc le paiement du capital en salaires présuppose une production de capital par le travail, travail pour lequel on paie les salaires. Et comme le patron a généralement un profit, le paiement des gages n’est, pour ce qui le concerne, que la remise au travailleur d’une portion du capital produit par le travail. Pour l’ouvrier, c’est seulement la réception d’une portion du capital que son travail a déjà produit. Comme la valeur payée en salaires est ainsi échangée pour une valeur amenée à l’existence par le travail, comment peut-on dire que les salaires sont tirés du capital ou avancés par le capital ? Comme dans l’échange du travail pour les salaires le patron gagne toujours le capital créé par le travail avant de payer les salaires, comment le capital serait-il amoindri même temporairement[1] ?

Que les faits soient juges de la question. Prenons par exemple

  1. Je parle du travail produisant du capital pour plus de clarté. Ce que produit toujours le travail c’est, soit de la richesse (qui peut être ou ne pas être du capital),soit des services, les cas où il ne produit rien étant exceptionnels. Là où l’objet du travail est simplement la satisfaction du maître, quand je prends un homme pour cirer mes souliers, par exemple, je ne paie pas le salaire sur le capital, mais sur la richesse que j’ai consacrée non à des usages productifs, mais à la satisfaction de mes désirs. Même si l’on considère de semblables salaires comme pris sur le capital, par l’effet de l’acte lui-même, ils passent de la catégorie du capital à celle de la richesse consacrée à la satisfaction des désirs du possesseur ; c’est comme si un marchand de tabac prenait sur son fonds une douzaine de cigares et les mettait dans sa poche pour son usage personnel, au lieu de les vendre.