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Voilà ce qui change les bienfaits du progrès matériel en malheurs. Voilà ce qui entasse des êtres humains dans des caves malsaines ou dans des maisons malpropres ; qui remplit les prisons de malfaiteurs ; qui pique les hommes de l’aiguillon du besoin et les consume d’envie ; qui dérobe aux femmes leur grâce et leur beautė ; qui enlève aux petits enfants la joie et l’innocence du matin de la vie.

Une civilisation ainsi fondée ne peut durer. Les lois éternelles de l’univers le défendent. Les ruines des empires morts attestent et le témoin qui est au fond de chaque âme affirme que cela ne peut pas être. C’est quelque chose de plus grand que la bonté, quelque chose de plus auguste que la charité, c’est la justice elle — même qui nous demande de réparer cette injustice ; la justice dont on ne peut pas nier l’existence ; qu’on ne peut pas mettre de côté ; la justice qui porte l’épée avec les balances. Parerons-nous le coup avec des liturgies et des prières ? Éloignerons-nous les décrets de la loi immuable en élevant des églises quand les enfants affamés se lamentent et que les mères fatiguées pleurent ?

C’est blasphémer que d’attribuer, même avec le langage de la prière, aux décrets inscrutables de la Providence les souffrances et les vices qui viennent de la pauvreté ; que de lever vers le Père de tous des mains jointes et de lui laisser la responsabilité de la misère et des crimes de nos grandes cités. Nous dégradons l’Éternel. Nous médisons du Juste.

Un homme miséricordieux aurait mieux ordonné le monde ; un homme juste écraserait du pied une fourmillère aussi venimeuse ! Ce n’est pas le Tout-Puissant, mais nous qui sommes responsables des vices et de la misère qui fermentent au milieu de notre civilisation. Le Créateur a fait pleuvoir ses dons sur nous, plus qu’il n’en fallait pour chacun. Mais, comme le font les porcs en cherchant leur nourriture, nous les avons foulés aux pieds dans la boue, pendant que nous nous déchirions les uns les autres !