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entre les mains d’hommes aigris et dégradés par la pauvreté, c’est attacher des tisons allumés à des renards et les lâcher au milieu des récoltes ; c’est aveugler Samson et enlacer ses bras aux piliers de la vie nationale.

Les accidents de la succession héréditaire, ou du choix laissé au sort (moyen accepté par quelques républiques anciennes), peuvent parfois donner le pouvoir au juste et au sage ; mais dans une démocratie corrompue, la tendance est toujours de donner le pouvoir au pire. L’honnêteté et le patriotisme sont vaincus par l’impudence. Le meilleur végète dans les bas-fonds, le pire s’élève jusqu’au sommet, et l’homme vil n’est évince que par celui qui l’est davantage. Et comme le caractère national doit graduellement s’assimiler les qualités qui gagnent le pouvoir, et par conséquent le respect, la démoralisation se produit rapidement, changeant, comme nous l’a montré maintes et maintes fois le panorama de l’histoire, des races d’hommes libres en races d’esclaves.

Comme en Angleterre au siècle dernier, quand le Parlement n’était qu’une corporation fermée de l’aristocratie, une oligarchie corrompue, bien séparée des masses, peut exister sans avoir grande influence sur le caractère national, parce que dans ce cas le pouvoir est associé dans l’esprit populaire, avec d’autres choses que la corruption. Mais là où il n’y a pas de distinctions héréditaires, et où l’on voit souvent les hommes s’élever eux-mêmes par leurs vices de la condition la plus basse à la richesse et au pouvoir, la tolérance de ces vices finit par se changer en admiration. Un gouvernement démocratique corrompu doit finir par corrompre le peuple, et quand un peuple est corrompu, il n’y a pour lui aucun espoir de guérison. La vie déserte ce peuple, la carcasse seule demeure ; et il ne reste plus au destin qu’à l’ensevelir sans bruit.

Cette transformation du gouvernement populaire en un despotisme de l’espèce la plus vile et la plus dégradante, qui est le résultat inévitable de la distribution inégale de la richesse, ne