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Quant à l’esclavage, je ne vois pas comment il a pu aider à établir la liberté, et la liberté, synonyme d’égalité, est, depuis l’époque de l’état le plus grossier où l’on puisse imaginer l’homme, le stimulus et la condition du progrès. L’idée d’Auguste Comte que l’institution de l’esclavage détruisit le cannibalisme est aussi bizarre que la notion facétieuse d’Élie sur la manière dont l’humanité acquit du goût pour le porc rôti. Elle suppose qu’un penchant qu’on n’a jamais trouvé développé chez l’homme, sauf dans les conditions les moins naturelles — le besoin le plus affreux, ou les superstitions les plus barbares[1] — est une impulsion originale, et que l’homme a, lui qui à l’état sauvage le plus complet est encore le plus élevé de tous les animaux, des appétits naturels que les bêtes les plus nobles ne montrent pas. Il en est de même pour l’idée que l’esclavage fut le premier pas vers la civilisation parce qu’il donna aux possesseurs d’esclaves des loisirs pour progresser.

L’esclavage n’a jamais aidé et n’a jamais pu aider au progrès. Que la communauté ne soit composée que d’un seul maître et d’un seul esclave, ou qu’elle soit composée de plusieurs milliers de maîtres et de plusieurs millions d’esclaves, l’esclavage indique nécessairement le gaspillage de la puissance humaine ; car non seulement le travail esclave est moins productif que le travail libre, mais la puissance des maîtres est gaspillée puisqu’elle se dépense à garder et à surveiller les esclaves au lieu de s’appliquer à ce qui pourrait produire le progrès. Depuis le commencement jusqu’à la fin, l’esclavage, comme toute autre négation de l’égalité naturelle des hommes, a ralenti et empêché le progrès. Le progrès cesse en raison de l’importance du rôle que joue l’esclavage dans une organisation sociale. L’universalité de l’esclavage dans le monde ancien est sans doute la raison

  1. Les sauvages des iles Sandwich rendent honneur à leurs bons chefs en mangeant leurs corps. Ils ne voudraient pas toucher à leurs chefs mauvais ou tyranniques. Les sauvages de la Nouvelle-Zélande se figurent qu’en mangeant leurs ennemis ils acquièrent de la force et du courage. C’est l’idée qui semble être l’origine générale de l’habitude de manger les prisonniers de guerre.