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à mon avis, ce qui explique les caractères distinctifs des civilisations primitives comparées aux civilisations européennes plus récentes. Des communautés homogènes se développant du premier jet, sans conflit entre les coutumes, les lois, les religions, doivent montrer une bien plus grande uniformité. Les forces de concentration et de conservation doivent toutes opérer en même temps. Des chefs rivaux ne se disputent pas la suprématie, se faisant contre-poids les uns les autres, des diversités de croyance ne tiennent pas en échec l’influence cléricale. La puissance politique et religieuse, la richesse et la science tendent à se concentrer dans les mêmes lieux. Les mêmes causes qui produisent le roi héréditaire ou le prêtre héréditaire, tendent aussi à produire l’artisan héréditaire, et à séparer la société en castes. La force qui, grâce à l’association, est libre de se consacrer au progrès, se trouve ainsi gaspillée, et des barrières entravant le progrès futur s’élèvent graduellement. Le surplus d’énergie des masses est dépensé dans la construction de temples, de palais et de pyramides, à satisfaire l’orgueil et le luxe de leurs maîtres ; et s’il naît parmi les classes oisives une disposition à favoriser le progrès, elle est immédiatement détruite par la crainte des innovations. La société qui s’est formée de cette manière doit à la fin s’arrêter pénétrée d’un esprit de conservation qui empêche tout progrès ultérieur.

La durée de cet état de complète pétrification, une fois qu’il est atteint, semble dépendre de causes extérieures, des liens de fer du milieu social qui empêchent la désintégration aussi bien que le progrès. Une communauté arrivée à cet état, est facilement conquise, car le peuple y est habitué à une obéissance passive dans une vie de travail sans espoir. Si les conquérants prennent simplement la place des classes dirigeantes, comme l’ont fait les Hyksos en Égypte et les Tartares en Chine, les choses iront après comme avant. S’ils ravagent et détruisent des palais et des temples, il ne reste plus que des ruines, la population s’éclaircit, la science et les arts disparaissent.