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force contraire, au progrès. Quand les familles ou les tribus sont séparées les unes des autres, les sentiments sociaux cessent d’opérer entre elles, et alors naissent des différences de langage, de coutume, de tradition, de religion, dans tout ce tissu en somme, que chaque communauté, petite ou grande, file constamment. Avec ces différences croissent les préjugés, les haines, le contact amène des querelles, les agressions engendrent les agressions, les injustices provoquent la vengeance[1]. Et c’est ainsi qu’entre ces communautés naît le sentiment d’Ismaël et l’esprit de Caïn, que la guerre devient l’état chronique et naturel des relations entre les sociétés, et que les forces de l’homme s’épuisent dans l’attaque et la défense, dans les meurtres, la destruction de la richesse, ou dans les préparatifs belliqueux. Les tarifs protecteurs et les armées permanentes d’aujourd’hui prouvent combien ces hostilités persistent longtemps ; la difficulté de conclure un traité international sur la propriété littéraire montre combien on a de la peine à détruire cette idée que voler un étranger ce n’est pas commettre un vol. Pouvons-nous nous étonner des hostilités perpétuelles des tribus et des clans ? Pouvons-nous nous étonner de ce que, au temps où chaque communauté était isolée des autres, et où, sans être influencée par les autres, elle filait séparément son tissu formant le milieu social auquel aucun individu ne peut échapper, la guerre était la règle, et la paix l’exception ? « Ils étaient alors comme nous sommes nous-mêmes. »

  1. L’ignorance engendre facilement le mépris et la haine ; il nous semble tout naturel de considérer une différence de manière, de coutumes, de religion, etc., comme la preuve de l’infériorité de ceux qui différent de nous, de railler ceux qui s’émancipent à un degré quelconque des préjugés ordinaires, qui se mêlent à différentes classes ; c’est ce que nous voyons chaque jour dans la société civilisée. En religion, par exemple, on trouve le même esprit dans l’hymne où il est dit : « J’aimerais mieux être Baptiste et avoir la figure brillante Que d’être méthodiste, et de manquer toujours de grâce. » Comme le disait un évêque anglais : « Ce qui est hétérodoxie pour moi est orthodoxie pour un autre. » La tendance universelle, au contraire, est de classer tout ce qui est à côté de l’orthodoxie et de l’hétérodoxie, en paganisme et en athéisme. Et à propos de n’importe quelle divergence d’opinion, on retrouve la même tendance.