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été aussi nuisibles tant que nous n’avons pas su les traiter. De plus l’effet du choc de la civilisation contre la barbarie est d’affaiblir la puissance du sauvage sans le mettre dans les conditions qui donnent de la force à l’homme civilisé. Pendant que ses habitudes et ses mœurs tendent encore à persister, et persistent aussi longtemps que possible, les conditions auxquelles elles étaient adaptées sont forcément changées. Il est comme un chasseur dans un pays dépouillé de gibier ; comme un guerrier privé de ses armes et appelé à plaider sur des questions de droit. Il ne se trouve pas seulement placé entre deux civilisations, mais, comme le dit M. Bagehot à propos des métis européens dans l’Inde, entre deux morales, et il apprend les vices de la civilisation sans en connaître les vertus. Il perd ses moyens accoutumés de subsistance, il perd le respect de lui-même, et toute moralité ; il se dégrade et disparaît. Les misérables créatures qu’on voit errant autour des villes frontières ou des stations de chemin de fer, prêtes à demander, à voler, à entre prendre le commerce le plus bas, ne sont pas les vrais représentants des Indiens tels qu’ils étaient avant que les blancs les eussent chassés de leurs terrains de chasse. Ils ont perdu la force et les vertus de leur ancienne condition, sans gagner celles d’une condition plus haute. De fait, la civilisation qui repousse l’homme rouge ne fait preuve d’aucune vertu. Pour l’Anglo-Saxon de la frontière, l’aborigène n’a aucun droit que le blanc soit tenu de respecter. L’Indien est appauvri, méconnu, trompé, maltraité. Il disparaît, comme nous disparaîtrions dans des conditions semblables. Il s’évanouit devant la civilisation comme les Bretons devenus romains s’évanouissaient devant la barbarie des Saxons.

La vraie raison pour laquelle on ne trouve dans les écrivains classiques aucune plainte contre les barbares, et pour laquelle, au contraire, la civilisation romaine s’assimila la barbarie au lieu de la détruire, doit être, je crois, cherchée non seulement dans ce fait que la civilisation ancienne était moins loin de la