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et impitoyable qui est ouvert sous la société. Et c’est bien un enfer. Jamais les Vedas ne disent plus vrai que lorsque la sage corneille Bushanda dit au porte-étendard de Vishnou que la peine la plus aiguë est la pauvreté. Car la pauvreté n’est pas uniquement faite de privation ; elle est encore faite de honte, de dégradation ; elle comporte la brûlure, comme avec un fer rouge, des parties les plus sensibles de notre nature morale ou mentale ; la négation des impulsions les plus fortes et des affections les plus douces ; la suppression violente des nerfs les plus essentiels à la vie. Vous aimez votre femme, vous aimez vos enfants ; mais ne serait-il pas plus facile de les voir mourir que de les voir réduits à ce degré de misère dans lequel des classes entières vivent dans des communautés très civilisées ? La plus forte des passions animales est celle qui nous attache à la vie, mais on voit chaque jour dans les sociétés civilisées des hommes s’empoisonner ou se tirer un coup de pistolet par crainte de la pauvreté ; et pour un qui le fait, il y en a probablement cent qui en ont le désir, mais en sont empêchés par une horreur instinctive, par des considérations religieuses, ou par des liens de famille.

Il est naturel que les hommes fassent tous leurs efforts pour échapper à cet enfer de la pauvreté. À l’impulsion des sentiments poussant à la conservation personnelle et à la jouissance, joignez des sentiments plus nobles, et l’amour aussi bien que la crainte poussent à la lutte. Bien des hommes feront une chose basse, déshonnête ou injuste, dans leur effort pour placer au-dessus du besoin ou de la crainte du besoin, mère, femme ou enfant.

Et en dehors de cette condition des choses naît une opinion publique qui enrôle, comme force impulsive dans la lutte pour prendre et pour garder, un des ressorts les plus forts de l’activité humaine, le plus fort peut-être chez beaucoup. Le désir de l’approbation, le sentiment qui nous pousse à gagner le respect, l’admiration ou la sympathie de nos semblables, est ins-