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que dans un état de société où personne ne craindrait la pauvreté, personne non plus ne désirerait la grande richesse, personne du moins ne prendrait la même peine qu’aujourd’hui pour l’acquérir. Car certainement le spectacle d’hommes ayant seulement quelques années à vivre, et vivant comme des esclaves pour mourir riches, est en lui-même si peu naturel et si absurde que, dans un état de société où la suppression de la crainte du besoin aurait dissipé l’admiration envieuse avec laquelle les masses considèrent aujourd’hui les possessions des grands riches, quiconque travaillerait pour acquérir plus que ce dont il aurait l’usage, serait montré du doigt comme nous montrerions aujourd’hui un homme qui se serait couvert la tête d’une demi-douzaine de chapeaux, ou qui marcherait en plein soleil, par une grande chaleur, avec son pardessus. Quand chacun sera sûr d’être capable de gagner suffisamment, personne ne se souciera de se transformer en bête de somme.

Et quand cet aiguillon à la production aura disparu, pourrons-nous nous en passer ? Quel qu’ait été son rôle dans une phase plus primitive de développement, nous n’en avons plus besoin aujourd’hui. Les dangers qui menacent notre civilisation ne viennent pas de la faiblesse du stimulant à la production ; ce dont elle souffre, et ce dont elle mourra, si on ne lui applique pas un remède, c’est de la distribution inégale !

La disparition de cet aiguillon, considéré seulement comme point de départ de la production, ne sera pas non plus une perte pure. Car la production totale est grandement réduite par cette avidité avec laquelle on poursuit la richesse, c’est un des faits bien connus de la société moderne. Et si ce désir insensé de devenir riche à n’importe quel prix diminuait, l’activité intellectuelle, aujourd’hui consacrée à amasser des richesses, serait transportée dans des sphères plus hautes et plus utiles.