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lisation en France, M. Guizot a vivement décrit le chaos qui suivit en Europe la chute de l’Empire romain — chaos qui, suivant son expression, « portait toutes choses dans son sein, » et dont est lentement sortie la structure de la société moderne. C’est une peinture qui ne peut être résumée en quelques lignes, mais il suffit de dire que le résultat de cette introduction d’une vie rude mais vigoureuse dans la société romaine, fut une désorganisation de la société germaine comme de la société romaine, un mélange de l’idée des droits communs au sol avec l’idée de la propriété exclusive, qui vécut dans ces provinces de l’empire d’Orient ensuite envahies par les Turcs. Le système féodal, si rapidement adopté et si répandu, fut le résultat d’un semblable mélange ; mais côte à côte du système féodal, une organisation plus primitive, fondée sur les droits communs des cultivateurs, prit racine ou revécut, et elle a laissé des traces par toute l’Europe. L’organisation primitive qui assignait des parts égales de terre cultivée, et l’usage des terres non cultivées, et qui existait dans l’ancienne Italie comme dans l’Angleterre saxonne, s’est maintenue sous l’absolutisme et le servage en Russie, sous l’oppression musulmane en Serbie, a été balayée mais non entièrement détruite dans l’Inde, par les invasions successives, et les siècles d’oppression.

Le système féodal qui n’est pas particulier à l’Europe, mais semble être le résultat naturel de la conquête d’un pays colonisé par une race où l’égalité et l’individualisme étaient encore forts, admettait nettement, au moins en théorie, que la terre appartient à la société en général, et non à l’individu. Rude produit d’un âge où la force défendait le droit autant qu’elle a jamais pu le défendre (car l’idée de droit est indéracinable de l’esprit humain, et doit se manifester même dans une association de pirates et de voleurs), le système féodal n’admettait cependant pour personne le droit exclusif et sans contrôle à la terre. Le fief était par essence un dépôt, et à la jouissance se joignait une obligation. Le souverain, qui au point de vue théorique représentait le pou-