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politique aux États-Unis, et très peu dans les contrées civilisées les plus arriérées. Mais la grande cause d’inégalité reste et se manifeste dans la distribution inégale de la richesse. L’essence de l’esclavage, c’est que dans cet état le maître prend au travailleur tout ce qu’il produit, sauf ce qui est nécessaire pour entretenir une existence animale, et c’est à ce minimum que tendent manifestement les salaires du travail libre, dans les conditions actuelles. Quel que soit l’accroissement de la puissance productive, la rente tend constamment à absorber le gain, et plus que le gain.

Ainsi la condition des masses dans tous les pays civilisés est, ou tend à devenir, celle de l’esclavage virtuel sous l’apparence de la liberté. Et il est probable que ce genre d’esclavage est le plus cruel et le plus impitoyable. Car le travailleur est volé du produit de son travail et forcé de travailler pour gagner seulement de quoi vivre ; mais ceux qui lui fixent sa tâche, au lieu d’être des êtres humains, assument la forme de nécessités impérieuses. Ceux auxquels il remet son travail et dont il reçoit son salaire, ont souvent un maître à leur tour ; le contact entre les ouvriers et ceux qui bénéficient en dernier lieu de leur travail, n’existe plus, l’individualité disparaît. La responsabilité directe du maître pour l’esclave, responsabilité qui exerce une influence bienfaisante sur la grande majorité des hommes, n’existe pas ; ce n’est pas un homme qui semble conduire un autre au travail incessant et mal récompensé, mais « les lois inévitables de l’offre et de la demande, » pour lesquelles personne n’est particulièrement responsable. Les maximes de Caton le Censeur — maximes qui paraissaient odieuses même dans un âge de cruauté et d’esclavage universel — et d’après lesquelles après avoir tiré d’un esclave tout le travail possible, celui-ci n’avait plus qu’à mourir, sont devenues la règle commune ; on a même perdu l’intérêt égoïste qui engageait le maître à tenir compte du confort et du bien-être de son esclave. Le travail est devenu une marchandise, et le travailleur une machine. Il n’y a plus de maîtres ni d’esclaves, plus