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que quelques hommes ont le droit d’être dans ce monde, et que les autres n’ont pas ce droit.

Si nous sommes tous ici-bas par la permission égale du Créateur, nous avons tous un titre égal à la jouissance de sa bienfaisance, un droit égal à l’usage de tout ce que la nature offre avec tant d’impartialité[1]. C’est un droit qui est naturel et inaliénable ; c’est un droit qu’apporte chaque homme en naissant, un droit qui, pendant toute la durée de la vie de l’homme, n’est limité que par les droits égaux des autres. Dans la nature il n’y a rien qui ressemble à un fief absolu de la terre. Il n’y a sur la terre aucun pouvoir qui puisse légitimement faire la concession d’une propriété exclusive de la terre. Si tous les hommes existants s’unissaient pour rejeter leurs droits égaux, ils ne pourraient pas rejeter les droits égaux de ceux qui leur succéderont. Car, pour toute chose, que sommes-nous si ce n’est les tenanciers d’un jour ? Avons-nous donc fait la terre, pour vouloir déterminer les droits de ceux qui, après nous, seront tenanciers à leur tour ? Le Tout-Puissant, qui a créé la terre pour l’homme et l’homme pour la terre, a donné la terre en partage à toutes les générations des enfants des hommes par un décret écrit dans la constitution de toutes choses, décret qu’aucune

  1. En disant que la propriété privée ne peut, en dernière analyse, être justifiée que par la théorie que quelques hommes ont plus de droit que d’autres à l’existence, je ne fais qu’exprimer ce que perçoivent eux-mêmes les défenseurs du système existant. Ce qui a rendu Malthus populaire dans les classes dirigeantes, ce qui a fait que son livre illogique a été reçu comme une nouvelle révélation, que les souverains lui ont envoyé des décorations, et que l’homme le plus sordide de l’Angleterre a proposé de lui faire une pension, c’est qu’il fournissait une raison plausible à la supposition que quelques-uns ont plus de droit à l’existence que d’autres, — supposition qui est nécessaire à la justification de la propriété privée de la terre, et que Malthus exprime clairement quand il déclare que la tendance de la population est de mettre toujours au monde des êtres humains que la nature refuse de nourrir, et qui par conséquent « n’ont pas le plus petit droit à aucune part du stock existant de choses nécessaires à la vie ; » la nature les invite à disparaître et « n’hésite pas à obtenir par la force leur obéissance à ses ordres ; » employant pour cela, « la faim et la peste, la guerre et le crime, la mortalité et l’abandon de la vie enfantine, la prostitution et la syphilis. » Et aujourd’hui c’est à cette doctrine de Malthus que doivent avoir recours ceux qui veulent justifier la propriété privée de la terre. On ne peut pas la défendre logiquement d’une autre façon.