Page:Henry George - Progrès et Pauvreté.djvu/30

Cette page n’a pas encore été corrigée

que la moyenne de bien-être, de loisir, de raffinement s’est élevée ; mais ces gains ne sont pas généraux. Les classes les plus basses n’y participent pas[1]. Je ne veux pas dire pourtant que la condition du pauvre ne se soit en aucun pays ni en aucune façon améliorée ; ce que je veux dire c’est que nulle part on ne peut attribuer une amélioration quelconque à l’accroissement de la puissance productive. Je veux dire que cette tendance que nous appelons le progrès matériel n’améliorera jamais la condition des classes inférieures, ne leur donnera pas ce qui fait la vie heureuse et saine ; et qui plus est, qu’elle fera cette condition de plus en plus malheureuse. Les nouvelles forces, quelque utiles qu’elles soient en elles-mêmes, n’agissent pas sur la société en l’élevant de ses bas — fonds, comme on l’avait longtemps espéré et cru, mais l’amènent à un point intermédiaire. C’est comme si on enfonçait un énorme coin non sous la société, mais à travers la société. Ceux qui sont au-dessus du point de séparation sont élevés, mais ceux qui sont au-dessous sont précipités dans la ruine.

Cet effet d’abaissement ne se montre pas partout, car il n’est pas visible dans les pays où il existe depuis longtemps une classe tout juste capable de gagner sa vie. Là où la classe inférieure vit à peine, comme cela a longtemps eu lieu dans plusieurs parties de l’Europe, il lui est impossible de descendre plus bas, car faire un pas de plus dans ce cas c’est faire un pas hors de l’existence ; dans ces conditions-là il ne peut se manifester aucune tendance vers une misère plus grande. Mais dans la marche du progrès qui fait passer une société jeune à l’état d’ancienne communauté, on peut voir clairement que non seulement le pro-

  1. Il est vrai que les plus pauvres peuvent maintenant, sous certains rapports, jouir de ce que les plus riches, il y a seulement un siècle, ne connaissaient même pas ; mais ceci ne prouve pas qu’il y ait amélioration, tant que les moyens de gagner les choses nécessaires à la vie ne sont pas plus à la portée de tous. Le mendiant dans une ville peut jouir de choses que le fermier perdu dans les bois ne connait pas, mais cela ne prouve pas que la condition du mendiant soit meilleure que celle du fermier indépendant.