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plus durement, de même la condition du travailleur libre peut être, positivement aussi bien que relativement, changée en mal par l’accroissement de la puissance productive de son travail. Car, que la spéculation, se fondant sur le progrès continu de la rente, escompte l’effet des améliorations futures sur l’accroissement encore plus grand de la rente, et elle produira, là où le progrès normal de la rente ne l’a pas déjà fait, un abaissement des salaires, jusqu’au point où le salaire sera celui d’un esclave, celui qu’il faut juste pour vivre.

Dépouillé ainsi de tous les bénéfices de l’accroissement de la puissance productive, le travail est exposé à certains effets du progrès de la civilisation qui, sans les avantages qui les accompagnent naturellement, sont des maux positifs, et tendent d’eux-mêmes à réduire le travailleur libre à la condition dégradée et désespérée de l’esclave.

Car toutes les améliorations qui ajoutent à la puissance productive à mesure que la civilisation avance, ont pour résultat, ou nécessitent, une plus grande subdivision du travail, et l’efficacité du travail du corps entier des travailleurs s’accroît aux dépens de l’indépendance des éléments constituants. Le travailleur individuel ne connait et n’accomplit qu’une partie infinitésimale des différentes opérations qui sont nécessaires pour satisfaire les désirs les plus ordinaires. Le produit du travail d’une tribu sauvage est petit, mais chaque membre peut mener une vie indépendante. Il peut bâtir sa propre habitation, creuser son propre canot, faire ses propres vêtements, ses armes, ses outils, ses ornements. Il possède toute la connaissance de la nature qu’a sa tribu, sait quelles productions végétales sont bonnes pour sa nourriture, connaît les habitudes, les ressources des bêtes, oiseaux, poissons et insectes ; il peut se diriger d’après le soleil et les étoiles, d’après le côté où se tournent les fleurs ou les mousses sur les arbres ; en résumé, il peut satisfaire à tous ses besoins. Il peut être séparé de ses compagnons, et vivre quand même ; il possède ainsi une puissance indépendante qui