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de grandir et de manger à sa faim ; la vieillesse sans pensées d’avarice ; les enfants jouant avec les tigres ! Les vilaines choses disparues, les choses difficiles devenues faciles ; la discorde devenue harmonie ! Car comment les passions mauvaises pourraient-elles exister dans un monde où tous ont assez ? Comment le vice, le crime, l’ignorance, la brutalité qui naissent de la pauvreté, existeraient-ils là où il n’y a plus de pauvreté ? Comment ramperait-on là où il n’y a que des hommes libres ; qui donc serait oppresseur là où tous sont égaux ?

Voilà les rêves plus ou moins nets ou vagues, les espérances qu’ont fait naître les progrès de notre siècle. Ces espérances sont si profondément entrées dans l’esprit populaire qu’elles ont radicalement changé les courants de la pensée, transformé les croyances, et déplacé les centres les plus fondamentaux de nos idées. Les visions obsédantes de possibilités plus hautes ne parlent pas seulement de splendeur et de force, leur direction a changé : au lieu d’entrevoir derrière soi les faibles lueurs du coucher du soleil, c’est l’aurore qu’on voit couvrir tout le ciel, devant soi, de ses couleurs éblouissantes.

Il est vrai qu’on a éprouvé désappointement sur désappointement ; et que découverte après découverte, invention après invention, n’ont pas allégé le fardeau de ceux qui ont besoin de repos, n’ont pas apporté l’abondance aux malheureux. Mais il y avait tant de choses, semblait-il, auxquelles on pouvait attribuer cet échec, que, jusqu’à notre époque, la nouvelle foi n’en a pas semblé atteinte. Nous apprécions mieux les difficultés qu’il faut surmonter, mais nous croyons toujours que la tendance de notre époque c’est de les surmonter.

Maintenant, cependant, voilà que nous nous trouvons en face de faits sur la signification desquels on ne peut se méprendre. De tous les points du monde civilisé s’élèvent des plaintes sur la crise industrielle, sur la situation malheureuse de l’ouvrier condamné à une oisiveté involontaire, sur le capital amassé et gaspillé, sur la détresse pécuniaire des hommes d’affaires, sur les