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ou divisé entre ce terrain et un autre, ou peut-être entre tous les pays ; mais cette possibilité diminue quand la surface considérée est plus grande, et disparaît quand le globe entier est en jeu. La terre peut nourrir mille billions d’individus aussi facilement que mille millions, c’est la déduction nécessaire de ces vérités manifestes que, au moins pour ce qui concerne notre champ d’action, la matière est éternelle et que la force doit éternellement agir. La vie n’use pas les forces qui entretiennent la vie. Nous arrivons dans l’univers matériel sans rien apporter avec nous ; nous le quittons sans rien emporter. L’être humain, considéré physiquement, n’est qu’une forme passagère de la matière, un mode changeant de mouvement. La matière reste et la force persiste. Rien n’est amoindri, rien n’est affaibli. Il s’ensuit que la limite de la population du globe peut seulement être la limite de l’espace.

Cette limitation de l’espace, ce danger pour la race humaine de s’accroître tellement que chacun n’ait plus ses coudées franches, n’a pour nous pas plus d’intérêt pratique que le retour de la période glaciaire, ou l’extinction finale du soleil. Cependant quelque vague et éloignée que soit cette possibilité, c’est elle qui donne à la doctrine de Malthus son caractère d’évidence à priori. Mais si nous poursuivons notre étude ce vague disparaîtra également. Car il naît aussi d’une fausse analogie. Que la vie animale et végétale tende à lutter contre les limites de l’espace, cela ne prouve pas que la vie humaine ait la même tendance.

Prenons pour accordé que l’homme n’est qu’un animal supérieurement développé ; que le singe est un parent éloigné qui a graduellement développé ses tendances acrobatiques, et la baleine au dos bossu un parent plus éloigné encore, qui au commencement prit pour royaume la mer ; que par delà ces animaux, l’homme est apparenté aux végétaux, et qu’il est encore soumis aux mêmes lois que les plantes, les poissons, les oiseaux et les bêtes qui vivent sur la terre. Cependant il y a encore cette différence entre l’homme et les autres animaux : il est le seul