Page:Henry George - Progrès et Pauvreté.djvu/141

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sol, qui en avaient l’entière possession, et qui étaient sans égard pour les droits de ceux qui y vivaient.

Considérons les conditions de production avec lesquelles ces huit millions d’hommes arrivaient à vivre avant la maladie de la pomme de terre. On peut reproduire à ce propos les mots employés par M. Tennant pour l’Inde « le grand aiguillon de l’industrie, la sécurité, n’existait plus. » La culture était, pour la plus grande partie, entreprise par des fermiers sans bail qui, si les fermages excessifs qu’ils payaient le leur avait permis, n’osaient pas faire des améliorations qui n’auraient été que le signal d’une augmentation de fermage. Le travail se faisait donc dans les conditions les plus improductives et les plus ruineuses ; il était remplacé par une oisiveté sans but, alors que si un peu de sécurité avait protégé ses résultats, il aurait produit sans relâche. Étant données ces mauvaises conditions, il est encore prouvé que l’Irlande faisait plus qu’il ne fallait pour nourrir ses huit millions d’habitants. Car alors qu’elle était le plus peuplée, l’Irlande exportait des matières alimentaires. Même pendant la famine on charriait pour l’exportation le grain, la viande, le beurre, le fromage, pendant que le long des routes on empilait dans des tranchées les victimes de la faim. En retour de ces exportations rien ou presque rien n’entrait en Irlande. Pour le peuple lui-même les matières exportées auraient tout aussi bien pu être brûlées, jetées à la mer, ou jamais produites. Elles n’étaient pas échangées, elles formaient un tribut, une rente payée aux propriétaires absents ; un impôt arraché aux producteurs par ceux qui ne contribuent en rien à la production.

Si cette nourriture avait été laissée à ceux qui l’avaient produite ; si les cultivateurs du sol avaient pu conserver et employer le capital produit par leur travail ; si la sécurité avait stimulé l’industrie et permis l’adoption de méthodes économiques, les moyens de subsistance auraient été bien suffisants pour entretenir dans une condition aisée, la population la plus considérable que l’Irlande ait jamais eue ; et la maladie aurait pu aller