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priment la sécurité essentielle à la production. La raison pour laquelle l’accroissement naturel de la population ne produit pas la misère, nous la découvrirons tout à l’heure. Le fait lui-même est la seule chose que nous ayons à constater en ce moment. Et ce fait est évident dans l’Inde et dans la Chine. Il le sera partout où nous chercherons les causes des résultats qu’une vue superficielle des choses attribue souvent à l’excès de population.

De tous les pays de l’Europe, c’est l’Irlande qui fournit le plus grand nombre d’exemples d’excès de population. L’extrême pauvreté des paysans et le taux très bas des salaires existant dans ce pays, font qu’on parle toujours de la famine irlandaise, de l’émigration irlandaise, comme démontrant, sous les yeux du monde civilisé, la théorie de Malthus. Je ne sais pas si on peut citer un exemple plus frappant du pouvoir d’une théorie acceptée d’avance pour aveugler les hommes sur les relations véritables des faits. En réalité, et cela se voit du premier coup d’œil, l’Irlande n’a jamais encore eu une population que les forces naturelles du pays, vu l’état actuel des arts productifs, n’auraient pu faire subsister avec confort. Au moment où elle a été le plus peuplée (1840-45), l’Irlande renfermait un peu plus de huit millions d’habitants. Mais une grande partie d’entre eux s’arrangeait seulement pour vivre, logeait dans de misérables huttes, était vêtue de haillons, et ne mangeait que des pommes de terre. Quand vint la maladie des pommes de terre, les Irlandais moururent par milliers. Mais était-ce l’incapacité du sol à nourrir une aussi grande population, qui forçait tant d’hommes à vivre misérablement et les exposait à mourir de faim par la non-réussite d’une seule récolte de pommes de terre ? Non, c’était cette même rapacité impitoyable qui enlevait au ryot hindou les fruits de la terre et le laissait mourir de faim là où la nature donne généreusement. Des bandes de récolteurs d’impôts ne traversaient pas le pays pillant et torturant les habitants, mais le laboureur était également spolié par une horde impitoyable de propriétaires, entre lesquels on avait partagé le