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pacité innée chez le peuple, car les Hindous, ainsi que l’a montré la philologie comparée, sont de notre sang, et la Chine possédait une civilisation très développée, et les rudiments des inventions modernes les plus importantes alors que nos ancêtres étaient des sauvages errants. Cela vient de la forme qu’a revêtue dans ces deux pays l’organisation sociale, qui a enchaîné la puissance productive, et privé l’industrie de sa récompense.

Depuis un temps immémorial les classes ouvrières dans l’Inde ont été refoulées par les exactions et l’oppression dans un état de dégradation sans remède et sans espoir. Pendant des siècles et des siècles le cultivateur du sol s’est estimé heureux quand un bras plus fort que le sien lui laissait sur le produit de son travail, de quoi se nourrir et semer l’année suivante ; là, nulle part on ne pouvait accumuler en sûreté du capital et surtout l’employer un peu largement à aider la production ; toute richesse qu’on pouvait arracher au peuple était en la possession de princes qui ne valaient guère mieux que des chefs de voleurs disséminés dans le pays, ou entre les mains de leurs fermiers ou de leurs favoris ; et elle était gaspillée en un luxe inutile ou pire qu’inutile, pendant que la religion qui s’était transformée en une superstition terrible et compliquée, tyrannisait les esprits comme la force physique tyrannisait les corps. Dans de semblables conditions, les seuls arts qui pussent prospérer étaient ceux qui servaient l’ostentation et le luxe des puissants. Les éléphants du rajah brillaient sous l’or merveilleusement travaillé, et les parasols, symboles de sa puissance royale, étincelaient de pierres précieuses ; mais la charrue du ryot n’était qu’un bâton dégrossi. Les femmes du rajah s’enveloppaient de mousselines si fines qu’on les appelait un souffle tissé, mais les instruments des artisans étaient tout ce qu’il y a de plus pauvre et de plus grossier, et tout commerce ne pouvait se faire qu’à la dérobée.

N’est-il pas évident que cette tyrannie et cette insécurité ont produit la misère et la famine dans l’Inde ; et que ce n’est pas, comme le dit Buckle, l’excès de population par rapport aux