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sensation ; et ainsi de suite. Enfin, la preuve, la grande preuve que le Moi est impassible, c’est qu’en effet il peut se rendre tel. Qu’il connaisse, une fois pour toutes, ce qui est de lui et ce qui est de la Nature ; qu’il ait pénétrée à fond l’illusion qu’elle lui fait refléter ; qu’il se dise : « Je ne suis pas cela, cela n’est pas moi, ce sont les qualités qui jouent avec les qualités[1] » ; et alors le spectacle s’évanouira soudain, la danseuse aura honte de faire chatoyer ses voiles sous l’œil qui les a percés à jour, et elle laissera le Moi à son repos ; ou mieux, l’aveugle aura ainsi, de lui même, transporté le paralytique hors de la forêt des chimères.

Le Yoga, que la tradition assigne au chef d’école Patañjali, est bien moins un système philosophique qu’un complément pratique du Sânkhya, une discipline destinée à réaliser l’indifférence absolue du Moi par rapport aux jeux de la Nature. À cet effet, rien ne saurait valoir la réflexion, la méditation profonde, la contemplation assidue et absorbée ; et c’est tout cela qu’exprime le mot yôga. L’immobilité absolue, effrayante, dans des postures contre nature, soit la tête renversée et les yeux fixant le soleil jusqu’à cécité, soit entre quatre brasiers ardents sous la chaleur torride du ciel tropical, soit les poings fermés à tant que les ongles en croissant pé-

  1. C’est l’énergique formule de la Bhagavad-Gîta (cf. p. 74) : gunâ gunêsu kridanti (ou vartantê « entrent en relation avec » ).