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n’importe quel dieu, les Brâhmanas ont fait un être suprême, préexistant à tous les dieux et à l’ordre de l’univers : il ne les a pas créés, mais engendrés ou, si l’on préfère, fait émaner de sa propre substance : ce qui revient à dire qu’il les contient tous et qu’ils ne sont rien en dehors de lui. On reconnaît ici l’ébauche de cet Atman. haleine ou âme du monde, ou de ce Brahmâ, qui appelle tous les êtres à la vie lorsqu’il se réveille, et les replonge dans le néant lorsqu’il se rendort : seulement, un jour ou une nuit de Brahmâ dure plus de quatre milliards d’années humaines[1]. Les Brâhmanas n’ont pas encore appris à se jouer ainsi dans les infiniment grands qui épouvantent la pensée : leur cosmogonie et leur théologie sont encore à l’état fluide ; mais, en enseignant que tout est dans tout et que Prajâpati est Tout, ils aplanissent la voie triomphale par où passera un jour le fameux char de Jagannâtha « Souverain Sauveur du Monde »[2],

  1. C’est plus tard que ces fantastiques notions se systématisent, qu’on divise chaque grand âge de Brahmâ en quatorze âges de races humaines, dits manvantaras, et qu’on y distingue quatre périodes analogues aux âges dits d’or, d’argent, d’airain et de fer, mais numérotées selon les points du jeu de dés, qui est la grande passion des Hindous, savoir : krta « rafle-tout », trêta « trois », dvâpara « deux », et kali « as ». Nous sommes à présent dans l’âge Kali, qui a commencé le 18 février 3102 av. J.-C., à minuit du méridien d’Oudjein.
  2. C’est la gigantesque et très célèbre idole de Visnu dont le nom est plus connu en Occident sous sa tonne anglicisée, Jaggernaut.