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lues, dans la forme de sacrifice la plus solennelle du culte védique. Puissance baroque de l’imagination hindoue : c’est que le dieu Sôma est bien le sôma, mais qu’il est aussi, par métaphore, puis couramment, la lune au clair croissant. Le sôma est jaune ; la lune aussi. Les tiges de sôma s’amincissenl sous la meule du pressoir, et elles se regonflent lorsqu’on les brasse dans l’eau en vue d’une seconde coulée ; la lune aussi diminue et grandit. Lorsqu’elle décroit là-haut, c’est que les dieux s’en repaissent : elle est le nectar qui leur donne vigueur et immortalité ; mais, lorsqu’ils sont au bout de leur festin, il leur faut jeûner durant la quinzaine claire, jusqu’à ce que la nouvelle lune soit redevenue la goutte ronde de sôma qui tremble au sommet de la voûte. Le livre IX du RigVéda, tout entier dédié à Sonia que clarifie le filtre de laine au sortir du pressoir, enchevêtre ces concepts et bien d’autres en un réseau si chatoyant, qu’à tout instant on hésite si c’est de la lune, si du liquide, que le poète veut parler. Le poète lui-même, à coup sûr, la plupart du temps, n’en sait rien ; et pourquoi séparerait-il ce qui ne fait qu’un dans sa pensée et celle de tous ? Rarement il se prend à les distinguer, et ce lui est alors prétexte à formuler un nouveau mystère :

Il croit boire le sôma, celui qui broie la plante ; le sôma que savent les prêtres, nul n’en saurait goûter. (Rig-Véda"", X, 85, 3, et Atharva-Véda, XIV, 1, 3.)