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de l'ébranlement de chaque filet sensitif ; de la pression plus ou moins grande exercée sur la peau par la pointe, de la nature du contact ; toutes ces circonstances nous sont révélées par le toucher, mais nous les avons éliminées pour ne conserver que celles dont le caractère est géométrique. Avons-nous ainsi l'espace? Non ; d'abord le continu ainsi construit n'a que deux dimensions, comme la surface de la peau elle-même ; ensuite nous savons bien que notre peau est mobile, qu'un même point de la peau ne correspond pas toujours à un même point de l'espace ; que la distance de deux points de notre peau varie quand notre corps se déforme. C'est sans doute ainsi que les mollusques conçoivent l'espace, mais cela n'a aucun rapport avec le nôtre.

Pour la vue, c'est la même chose ; deux faisceaux de lumière frappant deux points de la rétine, nous donneront l'impression de deux taches lumineuses ou d'une seule, selon que ces deux points seront plus ou moins distants. Nous avons l'équivalent de nos deux pointes de tout à l'heure; nous pouvons nous en servir pour construire un continu physique en faisant abstraction de la couleur et de l'intensité de la lumière ; ce continu physique aura deux dimensions comme la surface de la rétine. On introduira la troisième dimension en faisant intervenir la convergence des