Page:Henri Poincaré - Dernières pensées, 1920.djvu/58

Cette page a été validée par deux contributeurs.

damentaux le corps solide et le rayon lumineux.

Dans ces conditions l’espace a-t-il des propriétés géométriques indépendantes des instruments qui servent à le mesurer ? Il peut, avons-nous dit, subir une déformation quelconque sans que rien nous en avertisse, si nos instruments la subissent également. En réalité, il est donc amorphe, il est une forme flasque, sans rigidité, qui peut s’appliquer à tout ; il n’a pas de propriétés à lui ; faire de la géométrie, c’est étudier les propriétés de nos instruments, c’est-à-dire du corps solide.

Mais alors, comme nos instruments sont imparfaits, la géométrie devrait se modifier chaque fois qu’ils se perfectionnent ; les constructeurs devraient pouvoir mettre sur leurs prospectus : « Je fournis un espace bien supérieur à celui de mes concurrents, beaucoup plus simple, beaucoup plus commode, beaucoup plus confortable ». Nous savons qu’il n’en est pas ainsi ; nous serions tentés de dire que la géométrie, c’est l’étude des propriétés qu’auraient les instruments s’ils étaient parfaits. Mais pour cela il faudrait savoir ce que c’est qu’un instrument parfait, et nous ne le savons pas puisqu’il n’y en a pas, et que nous ne pourrions définir l’instrument idéal que par la géométrie, ce qui est un cercle vicieux. Et alors nous dirons que la géométrie est l’étude d’un ensemble de lois peu différentes de celles auxquelles obéissent réellement nos instru-