Page:Henri Poincaré - Dernières pensées, 1920.djvu/48

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ligences qui ne différeraient pas trop de la nôtre.

La question ainsi posée comporte une solution. Si nous envisageons deux esprits semblables au nôtre observant l’univers à deux dates différentes, séparées par exemple par des millions d’années, chacun de ces esprits bâtira une science, qui sera un système de lois déduites des faits observés. Il est probable que ces sciences seront très différentes et en ce sens on pourrait dire que les lois ont évolué. Mais quelque grand que soit l’écart, on pourra toujours concevoir une intelligence de même nature encore que la nôtre, mais de portée beaucoup plus grande, ou appelée à une vie plus longue, qui sera capable de faire la synthèse et de réunir dans une formule unique, parfaitement cohérente, les deux formules fragmentaires et approchées auxquelles les deux chercheurs éphémères étaient parvenus dans le peu de temps dont ils disposaient. Pour elle, les lois n’auront pas changé, la science sera immuable, ce seront seulement les savants qui auront été imparfaitement informés.

Pour prendre une comparaison géométrique, supposons qu’on puisse représenter les variations du monde par une courbe analytique. Chacun de nous ne peut voir qu’un très petit arc de cette courbe ; s’il le connaissait exactement, cela lui suffirait pour établir l’équation de la courbe, et pour pouvoir la prolonger indéfiniment. Mais il n’a