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le géologue, et les ouvrages des savants d’autrefois ne seraient que de vieux documents. Ils ne nous renseigneraient sur la pensée de ces savants que dans la mesure où les hommes d’autrefois seraient semblables à nous. Si les lois du monde venaient à changer, toutes les parties de l’univers en subiraient le contrecoup et l’humanité n’y saurait échapper ; en admettant qu’elle pût survivre dans un milieu nouveau, il faudrait bien qu’elle changeât pour s’y adapter. Et alors le langage des hommes d’autrefois nous deviendrait incompréhensible ; les mots dont ils se servaient n’auraient plus de sens pour nous ou en auraient un autre que pour eux. N’est-ce pas déjà ce qui arrive, au bout de quelques siècles, bien que les lois de la physique soient demeurées immuables ?

Et alors nous retombons toujours dans le même dilemme : ou bien les documents d’autrefois seront restés parfaitement clairs pour nous, et ce sera alors que le monde est resté le même, et ils ne pourront nous apprendre autre chose ; ou bien ils seront devenus des énigmes indéchiffrables, et ils ne pourront rien nous apprendre du tout, pas même que les lois ont évolué ; nous savons assez qu’il n’en faut pas tant pour qu’ils soient pour nous lettre morte.

D’ailleurs les hommes d’autrefois, comme nous mêmes, n’auront jamais eu des lois naturelles