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ce sont les sentiments, et il faut que les moralistes captent pour ainsi dire ces forces et les dirigent dans le bon sens, de même que les ingénieurs domptent les énergies naturelles et les plient aux besoins de l’industrie.

Mais — c’est là que naît la diversité — pour faire marcher une même machine, les ingénieurs peuvent indifféremment faire appel à la vapeur ou à la force hydraulique ; de même les professeurs de morale pourront à leur gré mettre en branle l’une ou l’autre des forces psychologiques. Chacun d’eux choisira naturellement la force qu’il sent en lui ; quant à celles qui lui pourraient venir du dehors, ou qu’il emprunterait au voisin, il ne les manierait que maladroitement ; elles seraient entre ses mains sans vie et sans efficacité ; il y renoncera, et il aura raison. C’est parce que leurs armes sont diverses que leurs méthodes doivent l’être : pourquoi s’en voudraient-ils mutuellement ?

Et cependant, c’est toujours la même morale que l’on enseigne. Que vous visiez l’utilité générale, que vous fassiez appel à la pitié ou au sentiment de la dignité humaine, vous aboutirez toujours aux mêmes préceptes, à ceux qu’on ne peut oublier sans que les nations périssent, sans qu’en même temps les souffrances se multiplient et que l’homme se mette à déchoir.

Pourquoi donc tous ces hommes qui, avec des