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dit, et il y a peut-être aussi d'autres raisons de ne pas le craindre ; on peut espérer que dans l'absolu tout se concilierait et qu'à une intelligence infinie, les deux attitudes, celle de l'homme qui agit comme s'il était libre et celle de l'homme qui pense comme si la liberté n'était nulle part, sembleraient également légitimes.

Nous nous sommes placés successivement aux différents points de vue d'où l'on peut envisager les rapports de la science et de la morale ; il faut maintenant arriver aux conclusions. Il n'y a pas, et il n'y aura jamais de morale scientifique au sens propre du mot, mais la science peut être d'une façon indirecte une auxiliaire de la morale ; la science largement comprise ne peut que la servir ; la demi-science est seule redoutable ; en revanche, la science ne peut suffire, parce qu'elle ne voit qu'une partie de l'homme, ou, si vous le préférez, elle voit tout, mais elle voit tout du même biais ; et ensuite, parce qu'il faut penser aux esprits qui ne sont pas scientifiques. D'autre part, les craintes, comme les espoirs trop vastes, me semblent également chimériques ; la morale et la science, à mesure qu'elles feront des progrès, sauront bien s'adapter l'une à l'autre.