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mathématiciens, et de conclure au déterminisme absolu parce qu'à la limite le déterminisme s'évanouirait dans une tautologie ou une contradiction ? C'est une question qu'on étudie depuis des siècles sans espoir de la résoudre et je ne puis même l'effleurer dans les quelques minutes dont je dispose encore.

Mais nous sommes en présence d'un fait ; la science, à tort ou à raison, est déterministe ; partout où elle pénètre, elle fait entrer le déterminisme. Tant qu'il ne s'agit que de physique ou même de biologie, cela importe peu; le domaine de la conscience demeure inviolé ; qu'arrivera-t-il le jour où la morale deviendra à son tour objet de science ? Elle s'imprégnera nécessairement de déterminisme et ce sera sans doute sa ruine.

Tout est-il désespéré, ou bien si un jour la. morale devait s'accommoder du déterminisme, pourrait-elle s'y adapter sans en mourir ? Une révolution métaphysique si profonde aurait sans doute sur les mœurs beaucoup moins d'influence qu'on ne pense. Il est bien entendu que la répression pénale n'est pas en cause ; ce qu'on appelait crime ou châtiment, s'appellerait maladie ou prophylaxie, mais la société conserverait intact son droit qui n'est pas celui de punir, mais tout simplement celui de se défendre. Ce qui est plus grave, c'est que l'idée de mérite et de démérite devrait disparaître ou se trans-