Page:Henri Poincaré - Dernières pensées, 1920.djvu/256

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ties de l’univers, à nous en dévoiler l'harmonie ; est-ce parce que cette harmonie est réelle, ou parce qu'elle est un besoin de notre intelligence, et par conséquent un postulat de la science ? c'est une question que je n'entreprendrai pas de décider. Toujours est-il que la science va vers l'unité et nous fait aller vers l'unité. De même qu'elle coordonne les lois particulières et les rattache à une loi plus générale, ne va-t-elle pas réduire aussi à l'unité les aspirations intimes de nos cœurs, en apparence si divergentes, si capricieuses, si étrangères les unes aux autres ?

Mais si elle échoue dans cette tâche, quel danger, quelle désillusion ! Ne peut-elle pas faire autant de mal qu'elle aurait pu faire de bien ? Ces affections, ces sentiments si frêles, si délicats vont-ils supporter l'analyse ; la moindre lumière ne va-t-elle pas nous en révéler la vanité et n'allons-nous pas aboutir à l'éternel à quoi bon? À quoi bon la pitié, puisque plus on fait pour les hommes, plus ils deviennent exigeants, et plus ils sont en conséquence malheureux de leur sort ; puisque la pitié ne peut faire non seulement que des ingrats, cela importerait peu, mais qu'elle ne peut faire que des âmes aigries ? À quoi bon l’amour de la patrie, puisque sa grandeur n'est le plus souvent qu'une brillante misère ; à quoi bon chercher à nous perfectionner nous-mêmes, puis-