Page:Henri Poincaré - Dernières pensées, 1920.djvu/178

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pendante; le géomètre ne les crée pas, il les découvre. Ces objets existent alors pour ainsi dire sans exister, puisqu'ils se réduisent à de pures essences ; mais comme, par nature, ces objets sont en nombre infini, les partisans du réalisme mathématique sont beaucoup plus infinitistes que les idéalistes ; leur infini n'est plus un devenir, puisqu'il préexiste à l'esprit qui le découvre; qu'ils l'avouent ou qu'ils le nient, il faut donc qu'ils croient à l'infini actuel.

On reconnaît là la théorie des idées de Platon ; et cela peut paraître étrange de voir Platon classé parmi les réalistes ; rien n'est pourtant plus opposé à l'idéalisme contemporain que le platonisme, bien que cette doctrine soit également très éloignée du réalisme physique.

Je n'ai jamais connu de mathématicien plus réaliste, au sens platonicien, qu'Hermite, et pourtant je dois avouer que je n'en ai pas rencontré de plus réfractaire au Cantorisme. Il y a là une apparente contradiction, d'autant plus qu'il répétait volontiers : Je suis anticantorien parce que je suis réaliste. Il reprochait à Cantor de créer des objets, au lieu de se contenter de les découvrir. Sans doute à cause de ses convictions religieuses considérait-il comme une sorte d'impiété de vouloir pénétrer de plain-pied dans un domaine que Dieu seul peut embrasser et de ne pas attendre qu'il