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le fini s'obtient en découpant un petit morceau dans l'infini.

Un théorème doit pouvoir être vérifié, mais comme nous sommes nous-mêmes finis, nous ne pouvons opérer que sur des objets finis ; lors donc même que la notion d'infini joue un rôle dans l'énoncé du théorème, il faut que dans la vérification il n'en soit plus question ; sans quoi cette vérification serait impossible. Je prendrai comme exemples des théorèmes comme ceux-ci : la suite des nombres premiers est illimitée, la série est convergente, etc. ; chacun d'eux peut se traduire par des égalités ou des inégalités où ne figurent que des nombres finis. Ces théorèmes participent de l'infini, non parce qu'une des vérifications possibles en participe elle-même, mais parce que les vérifications possibles sont en nombre infini.

En énonçant le théorème, j'affirme que toutes ces vérifications réussiraient ; bien entendu, on ne les fait pas toutes ; il y en a que j'appelle possibles parce qu'elles n'exigeraient qu'un temps fini, mais qui seraient pratiquement impossibles parce qu’elles demanderaient des années de travail. Il me suffit qu'on puisse concevoir quelqu'un d'assez riche et d’assez fou pour la tenter en payant un nombre suffisant d'auxiliaires. La démonstration du théorème a précisément pour but de rendre cette folie inutile.