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pour l’un, était aussi hasard pour l’autre et même pour les dieux.

Mais cette conception n’est plus la nôtre ; nous sommes devenus des déterministes absolus, et ceux mêmes qui veulent réserver les droits du libre arbitre humain laissent du moins le déterminisme régner sans partage dans le monde inorganique. Tout phénomène, si minime qu’il soit, a une cause, et un esprit infiniment puissant, infiniment bien informé des lois de la nature, aurait pu le prévoir dès le commencement des siècles. Si un pareil esprit existait, on ne pourrait jouer avec lui à aucun jeu de hasard, on perdrait toujours.

Pour lui, en effet, le mot de hasard n’aurait pas de sens, ou plutôt il n’y aurait pas de hasard. C’est à cause de notre faiblesse et de notre ignorance qu’il y en aurait un pour nous. Et, même sans sortir de notre faible humanité, ce qui est hasard pour l’ignorant, n’est plus hasard pour le savant. Le hasard n’est que la mesure de notre ignorance. Les phénomènes fortuits sont, par définition, ceux dont nous ignorons les lois.

Mais cette définition est-elle bien satisfaisante ? Quand les premiers bergers chaldéens suivaient des yeux les mouvements des astres, ils ne connaissaient pas encore les lois de l’Astronomie ; auraient-ils songé à dire que les astres se meuvent au hasard ? Si un physicien moderne étudie un phénomène nouveau, et s’il en découvre la loi le mardi, aurait-il dit le lundi que ce phénomène était fortuit ? Mais il y a plus n’invoque-t-on pas souvent, pour prédire un phénomène, ce que Bertrand appelle les lois du hasard ? Et, par exemple, dans la théorie cinétique des gaz, on retrouve les lois connues de Mariotte et de Gay-Lussac, grâce à cette hypothèse que les vitesses des molécules gazeuses varien