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20 INTRODUCTION. On a démontré qu'aucune Chambre ne contiendrait jamais aucun député de l'opposition, ou du moins un tel événement serait tellement improbable qu'on pourrait, sans crainte, parier le contraire, et parier un million contre un sou. Con- dorcet s'est efforcé de calculer combien il fallait de jurés pour qu'une erreur judiciaire devînt pratiquement impos- sible. Si l'on avait utilisé les résultats de ce calcul, on se serait certainement exposé aux mêmes déceptions qu'en pariant sur la foi du calcul que l'opposition n'aurait jamais aucun représentant. Les lois du hasard ne s'appliquent pas à ces questions. Si la justice ne se décide pas toujours par de bonnes raisons, elle use moins qu'on ne croit de la méthode de Bridoye; c'est peut-être fâcheux puisque, alors, le système de Condorcet nous mettrait à l'abri des erreurs judiciaires. Qu'est-ce à dire ? Nous sommes tentés d'attribuer au hasard les faits de cette nature, parce que les causes en sont obscures; mais ce n'est pas là le vrai hasard. Les causes nous sont inconnues, il est vrai, et même elles sont com- plexes mais elles ne le sont pas assez puisqu'elles conser- vent quelque chose; nous avons vu que c'est là ce qui distingue les causes « trop simples ». Quand des hommes sont rapprochés, ils ne se décident plus au hasard et indé- pendamment les uns des autres; ils réagissent les uns sur les autres. Des causes multiples entrent en action, elles troublent les hommes, les entraînent à droite et à gauche, mais il y a une chose qu'elles ne peuvent détruire, ce sont leurs habitudes de moutons de Panurge. Et c'est cela qui se conserve.