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INTRODUCTION. 19 VII. LA probabilité DANSLESSCIENCESmorales. C'est la même chose dans les sciences morales et en par- ticulier dans l'histoire. L'historien est obligé de faire un choix dans les événements de l'époque qu'il étudie; il ne raconte que ceux qui lui semblent les plus importants. II s'est donc contenté de relater les événements les plus con- sidérables du xvie siècle par exemple, de même que les faits les plus remarquables du xcne siècle. Si les premiers. suf- fisent pour expliquer les seconds, on dit que ceux-ci sont « conformes aux lois de l'histoire ». Mais si un grand événe- ment du xYiie siècle reconnaît pour cause un petit fait du xvle siècle, qu'aucune histoire ne rapporte, que tout le monde a négligé, alors on dit que cet événement est dû au hasard; ce mot a donc le même sens que dans les sciences physiques; il signifie que de petites causes ont produit de grands effets. Le plus grand hasard est la naissance d'un grand homme. Ce n'est que par hasard que se sont rencontrées deux cel- lules génitales, de sexe différent, qui contenaient précisé- ment, chacune de son côlé, les éléments mystérieux dont la réaction mutuelle devait produire le génie. On tombera d'accord que ces éléments doivent être rares et que leur rencontre est encore plus rare. Qu'il aurait fallu peu de chose pour dévier de sa route le spermatozoïde qui les portait; il aurait suffi de le dévier d'un dixième de milli- mètre et Napoléon ne naissait pas et les destinées d'un con- tinent étaient changées. Nul exemple ne peut mieux faire comprendre les véritables caractères du hasard. Un mot encore sur les paradoxes auxquels a. donné lieu l'application du calcul des probabilités aux sciences morales.