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LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

rue des ministères et des ambassades. C’est un Paris particulier, qui offre peu de ressemblance avec son frère cadet ; celui-ci joyeux, riant, plein de vie, d’espoir et de jeunesse ; celui-là froid, calme, empesé comme une vieille douairière. Plus de commerce, quelques boutiques parsemées, voilà tout ; mais des grands murs à perte de vue ; au-dessus de ces murs quelques branches d’arbres, qui feraient croire à des jardins, si les jardins étaient possibles. Enfin, de temps à autre, de grandes portes cochères, avec un poste, deux factionnaires et un écriteau sur le tout. Mettez le ciel couronnant tout cela, un ciel fait exprès pour le pays et parfaitement incolore ; faites régner le silence, étouffez le bruit des voitures, et vous aurez une idée de ces longues voies tristes, où le passant se sent pris d’un vague effroi, comme s’il marchait au milieu des ruines d’une grande cité.

Je voulus secouer la vapeur de tristesse qui commençait à s’étendre sur mon cerveau, et, comme l’associé du Puits-d’Amour venait de descendre, je m’approchai du cocher et j’engageai la conversation.

Je l’interrogeai sur sa condition, ses espérances et ses regrets, et ayant insisté pour connaître son sort et savoir s’il en était content, il me raconta son histoire en peu de mots, tout en mâchonnant une croûte de pain dur.

C’était un enfant trouvé que ce cocher ; il n’avait jamais connu ses parents, et ne s’en inquiétait guère, je vous l’assure ; il avait d’abord été porteur d’eau, puis un paysan s’était trouvé sur son passage, qui l’avait emmené à la campagne où il était devenu charretier. Là il s’était marié, avait eu des enfants ; naturellement ses bénéfices ne s’étant point accrus avec ses charges, il était tombé dans la plus affreuse misère. Alors seulement un bourgeois du pays, lui ayant promis une bonne place à Paris, lui avait fait obtenir un