Un petit bossu vient de monter sur l’impériale et de remplacer à mes côtés le gamin qui s’en va. Il lit attentivement le bulletin de la guerre. Tout à coup une rafale passe sur nos têtes, et le vent, arrachant le récit de nos hauts faits, sans aucun égard pour le lecteur, le lance violemment sur le visage d’une grosse dame qui faisait ses adieux à son épicier. Fut-ce la surprise, l’effroi ou la force du coup, la grosse dame tombe dans un tonneau de pruneaux, parmi lesquels son arrivée porte la plus grave perturbation. L’épicier jette les hauts cris, la dame profère de violentes diatribes en s’efforçant d’abandonner son domicile imprévu ; on s’attroupe, on se querelle, peut-être va-t-on se battre, quand deux sergents de ville percent la foule, et l’un d’eux, ramassant le bulletin, cause du désordre, le plie respectueusement et le présente à la victime comme à sa légitime propriétaire. Indignation de ladite victime, qui déclare n’avoir jamais eu la moindre accointance avec ledit journal. De tous côtés, les regards cherchent le possesseur, mais la voiture qui le porte marche toujours, et bientôt, de tous les acteurs de ce drame, il ne reste plus devant mes yeux que le petit bossu, visiblement épouvanté et plongé dans la consternation La plus profonde.
S’il est un saint dans le ciel qui ne se doute guère de ce qu’on fait pour lui sur la terre, ce doit être saint Germain. Le digne évêque s’étonnerait fort, je crois, s’il apprenait que depuis un demi-siècle le grand monde l’a choisi pour son patron, et qu’il règne, lui, l’humble et pauvre serviteur de Dieu, sur la fortune et la noblesse. Serait-il heureux de ce nouvel honneur ? Il s’en indignerait peut-être.
La rue de Grenelle-Saint-Germain est, comme l’on sait, la