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LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

temps (il y a quelques milliers d’années) où des peuples entiers m’appelaient, durant leur vie, dans leurs chants, dans leurs prières, dans leurs aspirations, et jusque dans leurs blasphèmes ; où chacun d’eux, suivant une voie différente, reconnaissait un même terme à son vagabondage ; où toute minute m’était consacrée ; où nulle heure ne s’écoulait sans enfanter quelque grande vertu, quelque grand crime, une noble action, un vice monstrueux, exhalations de l’éternelle âme humaine vers l’infini de son Créateur. Dans ce temps, la mort, pourvoyeuse infatigable, amenait à mon seuil toutes ces émanations terrestres, et je les repoussais avec colère, parce que mon Christ n’était pas né. Après le crucifiement de mon fils, j’ai vu une autre époque ; la foi avait transfiguré l’homme ; elle l’emportait, non plus cette fois dans les plaines sans limites, où les sphinx de granit ruminent une énigme sans mot, mais au delà des sommets du Thabor, éclairé par ce soleil, plus pur que la vertu de Socrate, plus réel que le Jéhovah de Moïse, et qui portait un nom mortel, Jésus le charpentier. Cet âge me procura bien des visites, et mon paradis s’ouvrit devant elles. Le sang de mon fils avait régénéré ma création, je me reposai. Qui eût pu croire que le Verbe du Très-Haut n’eût pas suffi à remplir de sa présence les courts instants que ma bonté consacre à la vie de cette planète qui râle déjà son agonie ; et cependant je ne sais ce qui se passe sur la terre, il est étrange de penser combien peu de gens viennent frapper à ma porte depuis un siècle ou deux. (Bruit de voix au dehors.)

Je suis sûr que voilà deux de mes saints qui se querellent ; depuis qu’ils ne redoutent plus l’enfer, ils ont oublié leur catéchisme, et, pour réparer les instants perdus, ne cherchent qu’à me contrarier. Mais que je me pardonne à moi-même, si je ne reconnais pas la voix de saint Pierre.