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LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

C’était un de ces êtres qu’on n’oublie pas.

Il avait nom : Souriceau. Toute grotesque que fût cette appellation, elle le devenait bien davantage encore, adressée à ce gros homme, court, rubicond et joyeux, en qui rien de prime-abord ne rappelait son homonyme, si ce n’est peut-être quelques mèches de cheveux gris épars sur un crâne qu’on eût dit gratté et blanchi de la veille. C’était d’ailleurs tout ce qu’il y avait de gris dans ce bonhomme, juge de paix de son arrondissement, et, en cette qualité, vêtu d’une façon si variée qu’elle en est indescriptible. Les nuances les plus opposées se jouaient follement sur son pantalon, son gilet, son habit à longs pans, atteignant les talons, et s’écartant graduellement l’un de l’autre, comme s’ils n’eussent pu qu’avec peine se séparer des deux grosses jambes qui les entraînaient dans leur marche. La couleur blanche, la seule oubliée dans tout cet attirail, reprenait son empire sur les plis d’une chemise de toile épaisse, laquelle avait incivilement forcé la ceinture, et tenait, paraît-il, essentiellement à rompre l’union, d’ordinaire indissoluble, du gilet et du pantalon.

Le vieillard était joueur enragé, excellent partner d’ailleurs, quoique doué d’une manie singulière.

Quand le père Souriceau se mettait au jeu… Mais, avant tout, connaissez-vous la bête ombrée ? La chose est improbable, il faut donc vous expliquer qu’au nombre des paroles cabalistiques qui accompagnent ce plaisir comme tous les autres, la première et le plus souvent proférée est le mot : j’y vais ou je n’y vais pas. Si l’on y va, on joue ; si l’on n’y va pas, on contemple modestement les efforts d’autrui. Un homme ne dit peut-être pas dix phrases où je ne me charge de trouver les traces d’un argot quelconque. La langue française n’est parlée que lorsqu’il est impossible de faire autrement.

Donc le père Souriceau avait coutume de commencer le jeu