leur estime : aussi les Français sont-ils, de tous les peuples, le plus vaniteux et le plus gai.
Les conséquences de ce système renversent de fond en comble l’échafaudage bâti à grand peine par les observateurs de tous les temps.
Vous rencontrez un homme sombre, flegmatique, sérieux ; cet homme, c’est la gravité qui marche, c’est la taciturnité qui agit. Dans un salon, il entre et s’assied avec lenteur ; il écoute les entretiens sans y prendre part ; c’est à peine si, d’instant en instant, sort de sa bouche entr’ouverte une affirmation dédaigneuse ; son regard vous fixe de haut ; son œil ne révèle aucune attention positive ; son geste est froid et digne. Vous pérorez, il n’applaudit pas ; vous plaisantez, il n’a pas souri. Quelle est votre pensée ? Vous vous dites, sans aucun doute : « Cet homme est un orgueilleux. » S’il a du talent, il vous rappelle lord Byron.
Au contraire, voici venir un excellent bourgeois, à l’air hilarant, à l’abdomen avancé, à la face rougeaude et courte. Il entre en vous disant : « J’ai bien l’honneur de vous présenter mes respects. » Il marche, il s’assied, il trotte, il se repose en causant ; jamais sa lèvre n’est dégarnie ; si les paroles à double entente, si les calembours monstrueux n’en jaillissent pas, c’est un rire énorme qui la dilate jusqu’aux oreilles… Ce rire, qui part comme un coup de canon, va frapper les quatre coins de la chambre et rebondit sur les assistants, jusqu’à l’instant indéfini où il se décide à mourir dans la gorge du bonhomme… encore la mort n’est-elle pour lui qu’une vie plus douce, car longtemps on l’entend s’agiter dans les replis de la poitrine, et les poumons ne reçoivent qu’à regret un râle d’où, comme des cendres du phénix, retentit parfois un éclat plus strident. « Le bon garçon, dites-vous ; l’homme honnête et modeste ! »